Pas peur des puissants de ce monde

14. septembre 2020

Ne pas courber l’échine. Dire son opinion. Même si elle va à l’encontre d’un adversaire apparemment tout-puissant. C’est exactement ce que fait la famille Heuberger de Hosenruck (TG), en plein conflit avec le lobby de l’agriculture.
Avouons qu’il fallait oser! Oser attaquer de front la quasi intouchable Union suisse des paysans (USP). Et ce, pas dans un petit journal local, mais directement dans le SonntagsBlick. Dire en face aux fonctionnaires de l’Union qu’ils ne représentent pas les paysans, mais le lobby de l’agriculture et eux-mêmes par la même occasion. Qui sont ces gens?

Tout sauf des fauteurs de troubles

Après un trajet en CarPostal à travers les paysages doucement vallonnés entre Wil et Weinfelden, nous les apercevons dans les pâturages de Hosenruck, au milieu de leurs animaux. Nous vous présentons Mariette (60 ans) et Roland (57 ans) Heuberger, qui nous accueillent avec un rire avenant jusque dans les yeux, une poignée de main ferme et une invitation à manger lancée par la paysanne: «Il est bientôt midi, restez donc à manger.» Franchement, c’est ainsi que vous imaginez des fauteurs de troubles? Pas du tout. Nous traversons des prés émaillés de haies et d’arbustes, longeons un ruisseau renaturisé, passons devant quelques arbres morts bourdonnant de vie et comprenons clairement que les Heuberger ne sont pas des fauteurs de troubles, mais des précurseurs. Ils font partie des premiers signataires de l’appel «Stop à l’agrobusiness». «Ce puissant lobby prétend défendre les familles paysannes», résume Heuberger. «En réalité, il défend une agriculture industrielle qui sert les intérêts de l’agrobusiness. Cette agriculture à la recherche du rendement tue les oiseaux et les insectes et empoisonne nos eaux et notre alimentation avec des pesticides.» Roland Heuberger explique tout cela avec la voix calme des personnes qui n’ont pas besoin de hurler pour convaincre.

«Dommage que nous ne nous soyons pas convertis plus tôt.»

Mariette, une infirmière en soins intensifs de formation, et Roland Heuberger ont eu d’autres idées à une époque. Mais pas longtemps et cela remonte à loin. «En 1994, nous avons repris la ferme de mes parents. Et plus nous utilisions d’herbicides, de fongicides, d’insecticides et autres *cides, plus nous avions affaire aux poisons de l’agriculture et plus nous nous sentions mal», se remémore le couple. Ils passent au bio en l’an 2000, un concept encore un peu spécial à cette époque. Ils se heurtent à nouveau à de l’incompréhension lorsqu’ils se mettent à planter des haies, à reboiser la forêt conformément à la nature et même à rouvrir des ruisseaux enfouis sous terre. Et aujourd’hui? «Aujourd’hui, je suis désolé de ne pas m’être lancé beaucoup, mais vraiment beaucoup plus tôt sur cette voie», regrette le paysan. «Ce n’est que lorsque nous nous sommes convertis à l’agriculture biologique que j’ai compris à quel point nous étions dépendants du lobby de l’agriculture. Tu dois tout suivre à la lettre, respecter la date imposée pour les semences, pour l’épandage des engrais chimiques, pour la pulvérisation de ces poisons. Ce n’est pas possible!»

Vu de l’extérieur

Karl, le cousin de Roland Heuberger, est venu rejoindre la famille qu’il aide à temps partiel. «Je peux aussi toujours regarder la ferme de l’extérieur et ce que je vois me fait plaisir», dit-il. «D’innombrables espèces d’oiseaux, de belettes, de hérissons, et même une crécerelle depuis un an, vivent à nouveau dans nos prés, nos bois et nos champs. Cela fait en outre du bien de recevoir des compliments des passants pour nos efforts en matière de biodiversité.» Ha ha ha! Les railleurs ont donc raison: écologie au lieu d’économie. Un paysagiste au lieu d’un producteur. «Eh bien justement non», se défend Roland Heuberger. «Le rendement de nos prés, de nos pâturages et de nos arbres est aussi élevé que celui des fermes conventionnelles. Mais nos produits, donc surtout le lait et les fruits, sont demandés et sont payés un bon prix. Nous avons prouvé qu’il ne s’agissait pas soit d’écologie, soit d’économie, mais que le business peut être également florissant dans un environnement intact. Nous sommes fiers d’avoir apporté cette preuve.»

La liberté

Roland Heuberger dit que beaucoup de paysans lui avouaient volontiers en secret qu’ils aimeraient, eux aussi, suivre une nouvelle voie. «Ils voient bien que des milliards vont dans la poche des producteurs et des marchands de pesticides, de fourrage, d’engrais et de semences. Et qu’en plus, l’Union des paysans soutient ces pratiques. Mais ils ont peur de quitter les sentiers battus», ajoute Roland Heuberger. Il comprend aussi un peu ce point de vue: «La dépendance du lobby de l’agriculture est trop importante, les dettes contractées pour les étables et les tracteurs surdimensionnés sont trop grosses, la pression des fonctionnaires trop forte.» L’heure du déjeuner est terminée et il est temps pour nous de repartir. Il reste encore à savoir comment le lobby de l’agriculture a réagi à l’histoire parue dans le SonntagsBlick. Ils rient tous les trois: «Aucune réaction. Nous allons bien, les lobbyistes ne peuvent pas nous mettre la pression. En passant au bio, nous avons en effet gagné une immense liberté.»

Texte & Images: Franz Bamert
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