L’Agrico réunit les consommateurs et les producteurs

15. août 2020

La coopérative Agrico célèbre cette année ses 40 ans. Ce devrait être l’occasion de faire la fête. Mais pas dans les conditions sanitaires actuellement en vigueur – la fête a été annulée. Nous avons malgré tout rendu visite à la ferme située à Therwil (BL) et discuté avec Alexander Tanner. Il dirige, avec sa femme, l’exploitation qui compte 50 employés. Ils y produisent des légumes, de la viande et des œufs qui sont ensuite vendus sur les marchés et dans le cadre d’abonnements aux consommateurs de la région de Bâle.
Pour notre entretien, nous avons pris place autour d’un café, dans la cour de la grande exploitation, devant le jardin d’enfants Rudolf Steiner qui s’y est lui aussi installé. Nous voyons l’accès de la route cantonale et les différents bâtiments agricoles, en face de nous, des tables et des bancs, quelqu’un prépare la collation pour les travailleuses. Un camion vient de livrer un chargement de pierres du Jura.
Agrico fête ses 40 ans – cet anniversaire serait le début de la crise de la quarantaine chez les humains. Que se passe-t-il chez vous – quels sont les évolutions à venir et, éventuellement, les crises?
(Une voiture arrive à la ferme, le conducteur cherche des semis pour son exploitation. Alexander Tanner appelle son épouse et demande où le conducteur peut trouver les semis. «Mais notez combien vous en prenez.» Il se rassoit en riant.)
Nous aurions peut-être dû nous asseoir ailleurs. Nous nous trouvons ici au cœur de la vie de la ferme. Cette question de la crise de la quarantaine est intéressante. Jusqu’à présent, je n’avais pensé qu’à la crise qui, dans une relation, suit la phase amoureuse avant de passer aux choses sérieuses. Nous la connaissons bien chez Agrico. Je ne peux pas dire si la crise de la quarantaine va, elle, se produire. Je ne parlerais pas de crise pour le moment.
Beaucoup a été fait au moment de la création et dans la phase pionnière qui a suivi. L’achat de la ferme en 1993 a sûrement été une étape importante. Il s’en est suivi une période durant laquelle les finances ont été difficiles. Nous avions acheté une ferme très endettée. Et le développement alentours n’était pas simple. Une concurrence est née. Nous avons dû affronter de nouveaux défis.
L’exploitation telle qu’elle existe aujourd’hui est le résultat de 40 ans d’Agrico. Avec les différentes personnes et idées qui l’ont marquée. Et l’environnement a lui aussi beaucoup changé: la carotte bio non lavée et à moitié desséchée d’autrefois a été remplacée par un marché bio très varié proposant de tout: d’une approche fondamentaliste à une production moderne.
Vous décrivez un grand écart que l’ensemble de la sphère du bio fait entre marché et dogme. Quel est pour vous le plus grand défi dans ce contexte?
Je ne sais pas si je décrirais cette situation de grand écart. N’est-ce pas tout simplement la vie qui veut ça? Le défi pour l’Agrico est de concrétiser une approche plutôt idéaliste. Le dogme ne sert à rien si on ne cherche pas à le mettre en pratique. C’est ce que nous montrons depuis 40 ans.
Notamment en matière de protection de la nature. Le camion que vous avez vu avant a apporté des pierres qui nous permettront de créer de nouveaux éléments écologiques à côté de notre nouvelle serre. Ce, en combinaison avec la construction de la serre moderne, également chauffée avec une grande installation de pompe à chaleur. Nous réunissons ici plusieurs aspects: protéger la nature en gagnant de l’argent, afin de bien réinvestir l’argent et ainsi avancer en termes de développement durable.
Pourquoi avez-vous besoin de la pompe à chaleur?
L’hiver, elle nous permet d’éviter le gel dans la serre et de la chauffer à partir de mars pour les semis. Lorsque nous avons construit la serre en 2004, nous souhaitions cultiver de manière plus durable. C’est pourquoi nous avons commencé par améliorer l’isolation. Par ailleurs, nous mettons les tomates en serre à partir de la mi-mars seulement. Cela permet aussi de faire des économies d’énergie – aux dépens du rendement, car nos tomates arrivent plus tard sur le marché.
Les clients ne perdent-ils pas patience?
Nos clients attendent que nous fournissions un produit très durable. C’est tout à fait clair. Mais mettre en pratique cette volonté dans son comportement d’achat est une autre décision. Il existe un fossé important entre les personnes qui vivent vraiment ce qu’ils demandent et celles qui voient les choses de manière plus souple. Elles achètent les tomates lorsque ces dernières les attirent dans le rayon.
La production durable de denrées alimentaires telle que vous la pratiquez depuis des décennies avec Agrico suffit-elle pour réussir la transition ou faut-il que tout le système d’alimentation change?
«Système d’alimentation» est le mot-clé. Il est aujourd’hui très populaire de formuler des exigences et des attentes envers l’agriculture. Mais, selon moi, la concrétisation est aussi de la responsabilité des consommateurs. Pas uniquement chez nous, agriculteurs et agricultrices.
Quelle est là la contribution d’Agrico?
L’Agrico réunit les consommateurs et les producteurs. Et le succès est au rendez-vous selon moi. Pas de manière absolue. Mais dans chacune des 1’000 petites étapes que nous faisons. Nous montrons ce que nous faisons. Nous faisons preuve d’une grande transparence. Vous pouvez participer à des journées de travail, vous pouvez devenir actifs dans la coopérative et vous impliquer. Cela motive naturellement à prendre des responsabilités.
(Le téléphone sonne. Alexander Tanner discute de l’arrosage d’un champ avec son interlocuteur)
Nous aborderons ensuite le thème de l’eau. Mais une dernière question sur le comportement des clients: j’ai lu dans le journal que vous avez vendu 50 % d’abonnements en plus grâce au coronavirus. Ces ventes supplémentaires ont-elles pu compenser les pertes générées par la fermeture des marchés?
En effet, la demande en abonnements découvertes a doublé pendant le confinement. En parallèle, nous avons connu une croissance très importante des ventes ici à la ferme. Elles ont explosé puis sont retombées ensuite. Dans le cas des abonnements, la demande reste élevée, mais elle s’est normalisée. Nous nous rapprochons de la situation avant-confinement. Un changement véritable est un travail de longue haleine.
Tout à l’heure, il était question au téléphone d’un véhicule d’arrosage. Le thème de l’arrosage était-il aussi présent il y a 25 ans lorsque vous avez commencé ici?
Je constate une intensification en matière d’arrosage par rapport à autrefois. Avec des répercussions positives sur le rendement. Un simple exemple de calcul: si j’augmente mon rendement de 30 % en utilisant 10 % d’eau en plus, le recours à l’eau était sans doute judicieux. Si, dans de telles conditions météorologiques, je n’arrose pas les légumes, les pertes sont totales en règle générale. Impossible donc sans arrosage.
L’arrosage est donc un aspect de la responsabilité que vous avez à assumer en tant qu’agriculteur?
Absolument. Mais là aussi, nous partageons la responsabilité avec les consommateurs. Ils souhaitent eux aussi avoir quelque chose dans leur assiette à l’avenir. Et si nous pensons au château d’eau qu’est la Suisse, il serait peut-être même plus judicieux de produire la salade ici au lieu de l’importer de régions plus sèches.
Ressentez-vous certaines limites à la solidarité?
Oh, oui. Nous avons connu une crise importante au milieu des années 1990. Le bio entrait dans les mœurs et n’était plus réservé à quelques pionniers. Nous avons dû apprendre à gérer cette nouvelle concurrence. Nous avons remarqué, par exemple, que le modèle de solidarité seul ne suffisait pas.
Est-ce que ça a nui à cette idée?
Non, je pense que ça sert l’idée. Mais c’est normal, chaque changement entraîne des développements qui ne plaisent pas à tout le monde. Nous parlions juste avant des dogmes: la société change et avec elle les exigences et les possibilités. Quand je démarre un vieux tracteur, je pense: waouh, quelle machine, quelle allure. Mais il en sort surtout beaucoup de poussières. Les tracteurs modernes sont beaucoup plus propres.
Dernière question: que souhaitez-vous pour le 40e anniversaire?
Que les choses continuent ainsi. Et la pluie serait aussi la bienvenue.
www.birsmattehof.ch

Interview: David Herrmann
Photos: Carla Haisch

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