On fait deux kilomètres à pied à travers champ dans le Schaaner Riet, au cœur de la vallée du Rhin au Lichtenstein, entouré de montagnes. Pas un voisin à l’horizon, seuls deux cerfs qui disparaissent rapidement derrière les haies bordant le champ. C’est la nature à l’état pur pour ainsi dire. Enfin, la ferme de la famille Schierscher se dresse devant nous, celle dont le surnom pourrait être traduit par «ferme de l’exode». C’est Samuel, 31 ans, le fils de Richard, qui vit aujourd’hui dans ce grand espace avec 120 bovins et cinq poules. Il exploite 45 hectares et continue à diriger l’Auhof comme une ferme Demeter. Son père, Richard Schierscher, a été le premier agriculteur bio et Demeter dans la principauté du Liechtenstein. L’homme qui a aujourd’hui 72 ans a toujours su qu’il ne poursuivrait pas sa voie dans l’agriculture conventionnelle.
Un grand pas pour un petit terrain: Richard Schierscher s’est engagé dans une nouvelle voie en agriculture et a fait de l’Auhof la toute première exploitation biodynamique du Liechtenstein dans les années 1980. Bien avant que le boom du bio n’ait lieu. Le pionnier Demeter nous parle de son parcours, de ses convictions et de la naissance du mouvement bio.
Demi-tou
«Je voulais quitter le village, j’étouffais là-bas», dit l’agriculteur Demeter à la retraite. À 22 ans, il a repris la ferme laitière et maraîchère conventionnelle de ses parents. «J’ai monté une ferme d’engraissement intensif avec 200 taureaux, j’écornais moi-même.» L’exploitation partait sur de bonnes bases. Mais avec le temps, Schierscher a commencé à se poser des questions sur le sens de la vie: «Qu’aimerais-je encore créer? Qu’aimerais-je laisser derrière moi? Comment aimerais-je poursuivre mon travail?»
Il découvre l’anthroposophie et partage cette passion avec sa femme. Cette doctrine s’intéresse notamment au rapport que l’on entretient avec l’agriculture, les sols et les animaux. «Je me suis intéressé à un cours d’agriculture de Rudolf Steiner et mon attitude envers l’exploitation conventionnelle a changé du tout au tout. C’est là que j’ai décidé de ne plus travailler qu’en biodynamie.»
«Peur du risque = zéro»
Que ce soit au moment de la construction de l’Auhof ou lors de sa reconversion en exploitation Demeter, Richard Schierscher n’a jamais hésité à prendre des risques dans la vie. «Il n’y avait aucune exploitation semblable, pas même de fermes bio. Mais ça ne m’inquiétait pas, j’étais sûr de moi.» Demeter se base sur une tout autre philosophie dans laquelle non pas la quantité, mais la qualité règne en maîtresse. Il a réduit la taille de son troupeau d’environ 80 bovins. Il a dû continuer à vendre dans le circuit conventionnel pendant un certain temps, car le marché et la demande en aliments bio et Demeter étaient inexistants. «Je n’ai rien regretté, bien au contraire. C’est une philosophie de vie. Pour moi, il n’était plus question de faire demi-tour. Je n’ai jamais non plus voulu de porte de sortie», déclare l’agriculteur holistique.
Demeter, la déesse de la fertilité des sols
Demeter est la première méthode d’agriculture biologique, nommée d’après la déesse grecque de la fertilité des sols. C’est là que le principe biodynamique des circuits fermés trouve son origine: la ferme n’accueille pas plus d’animaux qu’elle ne peut en nourrir avec son propre fourrage. À leur tour, les animaux fournissent assez d’engrais pour alimenter les sols et les plantes. Tout est lié et l’agriculture biodynamique a pour objectif de renforcer l’ensemble du système. Les sols, les plantes, les animaux et les humains sont considérés comme faisant partie d’un grand circuit dans lequel chaque élément est dépendant des autres et soutient les autres. Les fermes Demeter élèvent généralement moins d’animaux afin de pouvoir respecter ce principe. «C’est une approche et un engagement totalement différents», affirme Schierscher. On utilise, entre autres, des préparations biodynamiques telles que la bouse de corne, la silice de corne et les préparations de compost. «Lors de la reconversion, on m’a mis en contact avec une ‹ferme marraine› à qui je pouvais poser mes questions, notamment concernant l’utilisation des préparations», explique Schierscher.
Réglementation, acceptation et marché en croissance
«Je ne trouve pas que la réglementation de l’agriculture biodynamique est plus stricte, au contraire. Par exemple, je peux me passer de toute aide extérieure: je sais comment renforcer mes sols naturellement grâce aux préparations biodynamiques.» Et il s’agit bien de sols vivants. D’après les enseignements de Steiner, seules les substances indigènes à la zone vivante organique peuvent contribuer à un sol sain et vital. Les préparations biodynamiques permettent d’établir un nouveau lien entre les quatre éléments du règne de la nature: le minéral, le végétal, l’animal et l’humain.
Comment les agriculteurs conventionnels ont-ils réagi? «Certains m’ont regardé de travers, mais ça m’était égal.» Comme souvent, la nouveauté est d’abord méprisée, puis combattue et finalement acceptée.
Entre-temps, le Liechtenstein est devenu un véritable bastion de l’agriculture biologique. Avec une part de bio dépassant les 40 %, il se situe en tête du classement mondial. «Dans les années 90, la grande entreprise de transformation Hilcona a commencé à produire des aliments pour bébé – ceux-ci devaient être bio. Soudainement, la demande était là.» Le bio a alors commencé à être fortement subventionné et promu au Liechtenstein. De nombreux exploitants se sont reconvertis.
Une nouvelle génération dans le bio
Aujourd’hui, le pionnier du bio a laissé place à son fils sur la ferme. Lui et sa femme ont déménagé dans le village. «Un peu de distance, ça ne fait pas de mal», dit-il en rigolant. Il n’a pas pour autant arrêté de donner des coups de main à la ferme Demeter. Il se charge par exemple toujours du mélange des préparations biodynamiques. «Des mathématiques à l’ingénierie environnementale, nos cinq enfants ont des carrières très différentes. Nous sommes heureux que notre plus jeune fils ait choisi de reprendre la ferme.» Et Samuel Schierscher met en effet beaucoup de cœur à l’ouvrage. Il a réaménagé l’étable il y a trois ans pour créer des surfaces de litière et améliorer le bien-être animal. «Et ce, même si les animaux sont le plus souvent possible dans les pâturages.» Le bien-être animal, la durabilité et la vitalité des sols sont des sujets qui comptent particulièrement aux yeux de Samuel.
La génération actuelle vit avec la numérisation et celle-ci gagne en importance dans l’agriculture aussi. «Les avancées technologiques sont impressionnantes. Certains agriculteurs désherbent avec des robots», raconte Schierscher. Mais le pionnier Demeter ne souhaite jamais perdre son lien avec la nature.
Rédaction: Maya Frommelt, Photos: Maya Frommelt et ©bioland.li