Le boulanger bio Patrik Hersberger est un pragmatique. «Un pain est un pain», dit-il. Des fois ça lève mieux, des fois moins bien. Des fois c’est un peu plus foncé, des fois c’est un peu plus clair. On ne trouvera donc pas dans sa boulangerie dié- tétique de Vechigen BE des produits qui présentent, sentent et goûtent exactement la même chose tout le long de l’année. Et ici presque tout est fait à la main. Et dans un espace très petit. Tandis que Marina et Sandra préparent des dizaines de pains aux poires sur le plan de travail du fournil bien chaud, il y a, même pas deux mètres plus loin, un Mario qui manie une longue pelle en bois pour sortir du four à étages chauffé au bois des pains tout juste cuits, à l’épeautre ou paysans, et aussi Fränzi qui, dans la pièce à côté, lave les bacs de pousse, prépare les livraisons et sert entre-deux les clientes et les clients qui attendent à un guichet. En ce matin, il n’y a guère de silencieux que le petit local de stockage avec son petit moulin électrique… qui fait justement une pause.
Patrik Hersberger transforme en pain les céréales que les paysans Bourgeon lui livrent. Et ça se vend bien. Lui, en tout cas, dit que les fluctuations de qualité des céréales sont normales.
La carrière boulangère de Patrik Hersberger a commencé il y a 35 ans. Marqué par le mouvement bio et de jeunesse allemand, cet infirmier en psychiatrie de profession déménage à Vechigen où il a – en parfait amateur – repris en 1996 une boulangerie diététique après y avoir travaillé deux mois. «J’ai créé des recettes et travaillé avec du levain et de la farine grossière alors que c’était aussi mal vu par les gens que par les boulangers professionnels», raconte-t-il. Mais il vaut parfois mieux ne pas avoir su ou appris quelque chose car cela permet d’aborder les choses autrement. Au village, le boulanger bio néophyte, qui livre bientôt magasins bio et restaurants alternatifs à et autour de Berne, est quand même vite accepté. «Il n’y a guère que le meunier d’à côté qui disait qu’il ne donnerait même pas mes pains bio à ses chevaux.» C’est en 1998 que Patrik Hersberger a demandé la licence Bourgeon. Et son offre comprend maintenant une trentaine de pains et d’articles boulangers et pâtissiers.
Patrik Hersberger reçoit ses céréales de cinq paysans Bour- geon de la région. Essentiellement du blé, de l’épeautre et du seigle. «Nous fabriquons nous mêmes toutes les farines complètes et le grain concassé que nous utilisons – elles re- présentent 30 pourcents de la masse de farine – et que nous produisons ici», dit ce boulanger de 58 ans. Les 70 autres pourcents viennent du tout proche moulin de Hindelbank. «C’est aussi notre centre collecteur, qui nettoie et, si nécessaire, sèche les céréales et vérifie qu’elles n’aient pas de moisis- sures..» Les autres céréales, donc l’orge et l’amidonnier, il les achète à un moulin situé dans l’Emmental. Résultat: Il (et son équipe de neuf personnes qui se partagent 500 pourcents de poste) cuit chaque semaine une bonne tonne de farine…
Meilleure ou moins bonne récolte, même prix
Interpellé au sujet de la qualité des céréales et des farines qu’il utilise, Patrik Hersberger hausse les épaules. «Elle doit bien sûr être bonne, mais en pratique je prends tout ce qui est panifiable.» Il en va autrement dans les grandes boulangeries industrielles. Pour le blé, justement, elles ont besoin de la te- neur en protéines la plus haute possible car elle est en relation directe avec la teneur en gluten – c.-à-d. en gluten humide. Le gluten rend la pâte élastique, étirable, donne au pain sa structure et assure volume et légèreté. Et en plus, la farine de blé riche en protéines est plus facile à travailler dans la fabrication automatique de la pâte. Mais ce qui quitte la ligne de cuisson sont des produits standardisés.
La branche – moulins, boulangeries, centres collecteurs – discute actuellement avec les productrices et producteurs de céréales une modification d’un système de paiement déjà existant basé sur des valeurs de référence. Les pay- sannes et paysans Bourgeon qui livrent du blé avec de hautes teneurs en protéines reçoivent plus d’argent que ceux qui se situent dans la norme ou en dessous. Or atteindre une haute teneur en protéines est difficile en bio pour diverses raisons. Patrik Hersberger, qui n’est pas associé à cette discussion, a sa propre philosophie. Il dit que les fluctuations saisonnières de la qualité sont normales et que sa boulangerie vit avec. «Une fois tu as une meilleure récolte, une fois une moins bonne. Je trouve qu’il n’est pas équitable de donner moins d’argent aux paysans à cause de ça.» Il paie donc le même prix à tout le monde. Et même un bon prix.
Que Patrik Hersberger et son équipe s’en sortent bien même avec du blé avec des teneurs en protéines un peu plus basses va en fait presque de soi. «Notre boulangerie artisanale est beaucoup plus flexible qu’une grande boulangerie parce que nous pouvons modifier nos processus plus facilement», explique-t-il. Doper une «moins bonne» farine avec une meil- leure semble être la solution la plus fréquente, mais on peut aussi modifier la température de l’eau, la proportion farine-eau, la quantité de levure, la durée de fermentation et de repos, la température de cuisson. Et encore d’autres facteurs. Aussi pour l’épeautre. «Il doit avoir un très bon gluten pour qu’il se passe quelque chose», dit Patrik Hersberger. Un prétrempage peut alors s’avérer utile: On prend un peu de farine d’épeautre et on l’arrose avec de l’eau bouillante, ce qui active le gluten. Cette farine prétrempée est ensuite mélangée au reste de la pâte d’épeautre. «L’amidonnier devrait se comporter comme l’épeautre. Jusqu’ici je l’ai toujours utilisé en mélange, mais j’aimerais bientôt essayer un pain d’amidonnier pur.»
Vouloir être «un peu plus boulanger»
La farine de seigle n’est pas non plus facile à panifier. À cause de sa faible teneur en gluten elle ne peut lever qu’avec l’aide d’un levain. Que ce boulanger bio prépare – et entretient – lui-même. La «pâte mère» de ce levain est toujours celle du début.
«Un levain est plus difficile à bien mener qu’un troupeau de vaches», plaisante Patrik Hersberger. Une fois le levain lancé, les bactéries doivent être nourries en permanence pour que le levain ne se gâte – et surtout – ne meure pas. «Tu dois toujours
avoir un œil dessus. C’est d’ailleurs pour ça que j’habite dans l’appartement en dessus de la boulangerie – pour être toujours là», raconte-t-il. Le fait d’avoir maintenant une équipe qui l’aide à entretenir le levain ne simplifie rien, car il faut un mode d’em- ploi et un protocole précis pour que rien n’aille de traviole.
Ce travail est exigeant mais aussi gratifiant. «Je n’aimerais pas juger, mais je crois quand même qu’ici tu dois vouloir être un peu plus boulanger que dans une grande boulangerie. Tu dois être présent par tous tes sens et aimer le travail artisanal», dit Patrik Hersberger. Cela donne par ailleurs davantage de libertés pour essayer de nouvelles choses. Par exemple, il a commencé dans les années nonante à utiliser de la farine d’orge pour donner du goût. «Ici, on cultive beaucoup d’orge fourragère, et je me suis dit: Pourquoi pas en utiliser pour du pain?». Et son assortiment comprend en plus depuis longtemps une spécialité appréciée par sa clientèle: un pain au riz à base de farine bise de blé, de farine de riz complet, de riz complet cuit et de levain de seigle. «J’ai aussi déjà fait un pain à l’avoine et au chanvre. Mon prochain projet est un pain à l’engrain.»
Rédaktion et images:René Schulte, publié dans Bioactualités 2/2021.