Des jeunes coqs chez les jeunes poules

25. mars 2021

Pour s’établir comme alternative au massacre des poussins, l’engraissement des frères coqs doit être rentable. Une étude avec des halles de 4000 têtes va montrer si c’est possible et comment.

Les frères coqs de la ferme de la famille Donat se développent bien. À l’arrière-plan: parcours pour mauvais temps et pâturage

C’est une première pour Dominik et Ruedi Donat. Et un essai. Dans la halle d’élevage avicole de la ferme Bollhof à Wohlen AG, ce ne sont pour une fois pas des jeunes poules mais des jeunes coqs qui s’ébattent. Au nombre de 4000. Ces volatiles de 46 jours sont les frères de poules de la race Brown Nick, un hybride de ponte très performant. Mais ce n’est pas que le fils, Dominik, et le père, Ruedi, qui gèrent leur ferme Bourgeon en communauté générationnelle, se seraient décidés à passer àl’engraissement des frères coqs: Les poulettes sont très demandées depuis des années et il y a peu de fermes qui en élèvent. Il n’est donc pas prévu d’abandonner cette production. Ces deuxmaîtres-agriculteurs se sont plutôt décidés à mettre leur halle construite en 2016 à disposition pour une étude pratique.«On nous a demandé l’année passée si nous étions prêts à faire une série avec 4000 frères coqs – et nous avons dit oui», raconte Dominik Donat qui, à 28 ans, admet que cela n’était pas que pour des motifs idéels. Tous deux trouvent que l’engraissement des frères coqs peut être une bonne alternative au fait de tuer les poussins mâles des races de pontes, mais des considérations économiques ont aussi joué un rôle. «Nous faisons environ deux séries de 18 semaines par année avec des jeunes poules. 2020 a été une année où elles se sont succédées très rapidement et nous avons eu une longue période à vide», explique le fils. La question a donc été: «Est-ce qu’on laisse cette halle vide en ne gagnant rien du tout, ou est-ce que nous participons?» Le tout a été initié par le marchand suisse d’oeufs bio Hosberg avec son couvoir Bibro ainsi que l’entreprise de transformation de volaille bio Gallina qui appartient pour moitié à Hosberg et pour moitié à Roman Clavadetscher. «J’ai commencé avec l’engraissement des frères coqs il y a dix ans en collaboration avec Hosberg», raconte l’agriculteur bio. Il en est résulté le projet «Henne & Hahn» («Poule et Coq»), dont le but central était clair: Il faut arrêter de tuer des poussins juste après leur naissance! «Nous devons être conscients que l’oeuf bio est parmi tous les produits bio celui qui a la plus grande part de marché et qu’il est de ce fait porteur d’image pourtoute la branche bio.» Or produire beaucoup d’oeufs signifie avoir beaucoup de poussins mâles. Les «jeter» quasi d’emblée est contraire à la philosophie bio.

Roman Clavadetscher

But: Un prix de référence pour les frères coqs
Jusqu’à récemment, les frères coqs étaient élevés uniquementdans des unités d’engraissement de 500 têtes en devant appliquer les directives de Bio Suisse pour les volailles d’engraissement. Le règlement pour l’engraissement des jeunes coqs des lignées de ponte ne date que de l’année passée. Il s’oriente sur l’élevage des poulettes et permet des troupeaux allant jusqu’à 4000 coquelets par unité avicole. «Cela nous permet pour la première fois d’acquérir des expériences et des données sur la rentabilité de l’engraissement des frères coqs à grande échelle»,se réjouit Roman Clavadetscher. L’étude pratique en questioninclut donc non seulement la ferme Bollhof de la famille Donat, mais aussi trois autres unités de 4000 têtes et sept de500 têtes. «Notre but est d’élaborer sur la base des données unmodèle – comme pour les oeufs bio et les poulettes bio – pourdéterminer un prix de référence qui permettrait enfin à l’engraissement des frères coqs d’en valoir la peine.» Cet engraissement doit-il se faire avec des hybrides de ponte, des races à deux fins ou des races anciennes? Roman Clavadetscher veut laisser ce choix aux productrices et aux producteurs. L’essentiel est en effet pour lui d’avancer, car: «Les conventionnels misent sur des procédés in ovo qui seront probablement mis en oeuvre ces deux prochaines années.»
Ruedi Donat le voit exactement de la même manière: «La discussion doit maintenant être menée tambour battant, car si les conventionnels trouvent une solution avant nous, nous serons une fois de plus à la traîne», dit l’agriculteur de 63 ans. Il serait à ses yeux pourtant plus judicieux que des fermes d’engraissement de poulets fassent de l’engraissement de frères coqs. L’idéal serait que des conventionnels qui passent en bio et ont déjà une halle d’engraissement de poulets se lancent.Car il est selon lui plus difficile d’engraisser des coquelets en de gagnant de l’argent avec une halle d’élevage de poulettes comme la leur. Son fils Dominik abonde dans son sens. Notammentparce que le règlement pour l’engraissement des jeunes coqs est plus strict que celui pour l’élevage des poulettes.

Parcours pour mauvais temps dès 100 jeunes coqs
L’exigence la plus difficile, dit Dominik Donat, est le parcours non couvert pour mauvais temps. Dans leur ferme c’est une place rectangulaire généreusement pourvue de plaquettes de bois. Son but est que les volailles puissent se mouvoir à l’air libre quand le sol du pâturage est détrempé ou quand la végétation est au repos. «Un tel parcours est obligatoire à partir de 100 jeunes coqs. Et il doit être drainé, c.-à-d. bétonné et muni d’un écoulement vers la fosse à lisier», explique Dominik Donat. Les parcours pour mauvais temps ne sont pas obligatoires pour les élevages de jeunes poules. Ils le sont pour les pondeuses, mais seulement à partir de 500 poules et sans drainage. Bref, ceux qui viennent de la production d’oeufs et veulent passer à l’engraissement des frères coqs doivent commencerpar investir beaucoup d’argent. Un autre point est le pâturage. «Nous pouvons lâcher nos poulettes aussi souvent que nous voulons dans notre pâturage de 45 ares. Il n’y a pas de restrictions», dit Dominik Donat. Il en va autrement pour les jeunes coqs, car le règlement prescrit que la même surface de pâturage peut recevoir des volailles au maximum deux fois par année et qu’il faut une pause d’au minimum 12 semaines entre deux passages. Chez les Donat, l’engraissement des frères coqs dure justement 12 semaines, soit 88 jours. Il faut donc maintenant passer aux calculs. «Au moins un mètre carré de pâturage par coquelet, cela fait 40 ares pour 4000 coquelets. Donc nous pourrions faire dans notre ferme au maximum deux séries par année.» Or cela n’est actuellement pas rentable pour un produit de niche comme le frère coq.

Ruedi und Dominik Donat du Bollhof, Wohlen

La voie la plus éthique pour l’agriculture bio
L’aliment bio développé par la société Alb. Lehmann Biofutter spécialement pour l’engraissement des frères coqs est aussi un facteur de coût important. «Nos 4000 coquelets Brown Nick vont avoir consommé 18 tonnes d’aliment d’ici la fin de l’engraissement», dit Dominik Donat. Son père Ruedi ajoute: «Les poulets d’engraissement en ont besoin de nettement moins tout en mettant plus de viande.» La consommation des ressources est donc plus importante que pour l’engraissement des poulets. Et pourtant leurs jeunes coqs, et c’est très réjouissant, se sont mieux développés que la moyenne et ont eu des accroissements journaliers nettement plus hauts qu’attendu au départ. Ces deux agriculteurs trouvent quand même que le concept du frère coq est juste. «Pour l’agriculture biologique c’est la meilleure voie sur le plan éthique, et c’est aussi la plus simple à mettre en oeuvre par le secteur de l’oeuf pour résoudre le problème des poussins mâles», dit Dominik Donat. En ce qui concerne le financement, le programme de frères coqs «Henne & Hahn» rajoute quatre centimes par oeuf. Son pèreRuedi est quant à lui convaincu qu’il faut repenser encore une fois le règlement pour l’engraissement des jeunes coqs. En tout cas ils veulent continuer d’observer l’évolution de la situation. Et n’excluent pas de construire un jour un nouveau poulailler seulement pour l’engraissement des frères coqs. «Mais il faudra encore du temps avant de pouvoir prendre une décision à ce sujet», conclut Ruedi Donat.

Texte et images: René Schulte, publié dans Bio Actualités, édition 3 / 2021

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