La position en faveur de l’initiative pour une Suisse sans pesticides de synthèse a été prise hier lors de l’Assemblée des délégués. La prise de position concernant l’initiative sur l’eau potable aura lieu au printemps prochain. Urs Brändli, président de Bio Suisse, prend position.
L’initiative pour une eau potable propre
L’initiative contre les pesticides de synthèse
Urs Brändli, quelle est la position de Bio Suisse au sujet de l’initiative pour l’eau potable et de celle contre les pesticides de synthèse?
Nous approuvons l’initiative sur les pesticides de synthèse et nous sommes clairement «pour une Suisse libre de pesticides de synthèse». Cette initiative est en effet clairement en adéquation avec nos valeurs fondamentales. Et vu que les produits importés doivent aussi correspondre à ces exigences, nous y voyons une approche globale, une responsabilité partagée: Ce ne sont pas seulement les agriculteurs suisses, mais bel et bien l’ensemble du système, qui devra être mis à contribution. Bio Suisse exige depuis toujours une «Suisse sans pesticides de synthèse», et nous allons nous montrer très décidés dans ce sens.Les choses sont plus délicates en ce qui concerne l’initiative sur l’eau potable. L’Assemblée des délégués n’a donc pas encore pu s’accorder sur une position. Fondamentalement, nous partageons en grande partie les préoccupations de l’initiative. Nous voulons tous une agriculture et une alimentation durables. Parallèlement, l’initiative est incomplète dans sa formulation. En pratique, sa mise en œuvre signifierait en effet la fin pour de nombreuses fermes bio puisqu’elles devraient limiter leur cheptel au nombre d’animaux qu’elles peuvent nourrir avec les fourrages qu’elles produisent elles-mêmes. C’est particulièrement le cas pour les petites fermes qui se sont développées dans la production porcine ou les poules pondeuses. Prendre position dans six mois nous donne le temps de résoudre ces conflits d’objectifs. Comment Bio Suisse arrive-t-elle finalement à définir une position officielle?
Le Comité se réunit trois fois par année avec les présidentes et présidents des organisations membres et des commissions de Bio Suisse. Ces conférences permettent notamment de préparer les deux assemblées des délégués annuelles et de discuter des orientations stratégiques. La position officielle de Bio Suisse est définie sur la base d’une décision prise par la majorité lors d’un vote de l’Assemblée des délégués. Le résultat de ce vote est ensuite valable pour toute la Fédération. Le résultat de cette votation vaut pour l’association. En l’occurrence, nous envoyons un signal clair avec 64 voix en faveur de l’initiative pesticide. Bio Suisse s’était fortement engagée pour un contre-projet à l’initiative pour l’eau potable, pourquoi n’y en a-t-il pas eu?
Nous avons signalé aux initiants les déficiences de l’initiative pour l’eau potable dès avant le début de la récolte des signatures. Nous avons ensuite mené d’intenses discussions au niveau politique et nous nous sommes beaucoup investis pour un contre-projet. Le Parlement, qui était alors de majorité bourgeoise, aurait pu montrer une voie praticable en rédigeant un contre-projet ambitieux. Cela n’a malheureusement pas été le cas.Bio Suisse critique l’initiative pour l’eau potable notamment à cause de «sa focalisation sur les agriculteurs qui sont stigmatisés comme seuls responsables des problèmes». Comment les consommatrices et les consommateurs peuvent-ils prendre des responsabilités au sein de la filière de création de valeur?
En tant que consommateurs nous avons tous un rôle essentiel: Chaque achat est à la fois un bulletin de vote et une commande. Ce que nous consommons tous les jours, ce que nous achetons et ce pour quoi nous dépensons notre argent détermine aussi ce qui est et va être produit. Consommer de manière responsable signifie savoir quelle industrie et quelles méthodes de production on soutient par ses achats. Cela est vrai aussi bien pour la nourriture que pour l’habillement, la mobilité etc. Quand les consommateurs veulent avant tout acheter bon marché, ils le font en général au détriment d’autres aspects (p. ex. déficiences dans le bien-être animal, conséquences environnementales négatives, absence de responsabilité sociale). On peut en effet lors de ses achats accorder de la valeur aux marchandises les plus respectueuses de l’environnement et qui sont produites de manière équitable et avec ménagement. Cela implique évidemment de renoncer à certains produits ou de modérer ses achats pour donner la préférence à d’autres. Il y a, justement dans le domaine des denrées alimentaires, de nombreuses possibilités d’acheter de manière plus consciente et plus responsable – le Bio Bourgeon offre ici une référence d'orientation.Et quels rôles ont la politique et l’administration?
Les pouvoirs publics doivent impérativement encourager plus fortement la généralisation des produits respectueux de l’environnement. Au jour d’aujourd’hui les produits biologiques ne sont toujours pas disponibles partout et il y a toujours de grandes lacunes dans le domaine de la restauration hôtelière et de la restauration collective (c.-à-d. presque pas de produits bio dans les hôpitaux, les restaurants d’entreprises, les cantines scolaires). Et la formation des prix devrait elle aussi suivre d’autres règles – pourquoi les intrants polluants continuent-ils d’être vendus avec une TVA à taux réduit? Et les coûts dits induits ou les dommages causés par un produit devraient absolument être inclus dans son prix de vente pour qu’il reflète la réalité. Or aujourd’hui c’est hélas le contraire: Plus un produit est bon marché plus il engendre de coûts supplémentaires pour la société.Une reconversion générale et rigoureuse à l’agriculture biologique – cela ira très rapidement dans cette direction avec l’initiative pour l’eau potable et celle contre les pesticides de synthèse. Est-ce qu’il ne s’agit pas d’un objectif digne d’être visé?
Si, bien sûr, mais nous ne pouvons pas ignorer la réalité du marché. Seule une petite partie des consommateurs choisissent déjà maintenant des denrées alimentaires biologiques. Nous nous réjouirions que la Suisse devienne un pays entièrement bio, mais si la consommation ne suit pas le mouvement et que la population achète non pas des produits biologiques suisses mais des produits importés et bon marché, c’est le contraire qui se passera. Les prix bio se retrouveraient en outre massivement sous pression, ce qui menacerait l’existence de nombreuses entreprises bio. Une «Suisse sans pesticides de synthèse» serait moins dangereuse pour les paysans en général et bio en particulier puisque toutes les importations commerciales devraient remplir les mêmes exigences.
Comment considérez-vous la position du lobby agricole, qui rejette aussi bien l’initiative contre les pesticides que celle pour l’eau potable?
Il y a d’une part ces entreprises agricoles qui montrent des champs qui ne reçoivent pas de soins et qui donc ne donnent pratiquement aucun rendement. Cela n’a absolument rien à voir avec le bio. Car chaque paysan bio entretient et protège ses cultures, mais simplement avec d’autres méthodes. Et les conséquences négatives des pesticides de synthèse autorisés sont sciemment minimisées. Il n’est pas vrai que les champs cultivés en bio ne donnent presque pas de récoltes – au contraire. Les producteurs bio se préoccupent à fond du maintien de la fertilité des sols, favorisent la biodiversité, travaillent avec des rotations des cultures, utilisent des insectes auxiliaires, luttent contre les maladies fongiques avec des poudres de roche et sont extrêmement novateurs. L’agriculture biologique a d’ailleurs continué de faire ces dernières années d’énormes progrès, et les rendements ont pu être continuellement augmentés grâce à l’aide de la recherche et de la sélection spécifiquement bio. L’utilisation actuelle des pesticides de synthèse provoque des résidus dans les eaux et l’environnement – et jusque dans les denrées alimentaires elles-mêmes. En relation avec cela, la régression de la biodiversité atteint une ampleur menaçante, la mort des insectes est une réalité! Or il faut toujours beaucoup de temps pour que des produits soi-disant inoffensifs soient retirés du marché – nous parlons ici de délais de 25 ans et plus. Le dommage est alors déjà causé et c’est la génération suivante qui devra trinquer.Quel est votre souhait pour l’avenir?
L’agriculture biologique a déjà prouvé qu’une agriculture respectueuse de l’environnement n’implique pas de pertes économiques. Pour moi, le bio en vaut deux fois la peine: Je réalise une meilleure création de valeur et je reçois en même temps davantage d’estime. Nos paysannes et paysans bio possèdent beaucoup de connaissances, entretiennent les sols et favorisent la biodiversité – tout en réalisant de bons rendements. La Suisse a aujourd’hui un taux d’autoapprovisionnement net de 50 % et nous pourrions adopter un rôle de précurseur mondial sur le plan de l’agriculture et de l’alimentation durables. Les connaissances scientifiques, le savoir-faire technique, les connaissances et l’expérience sont là. Je souhaite donc que la population mise sur une production respectueuse et ménageante ainsi que sur une consommation durable. Pour le bien de nos petits-enfants, suivons ensemble cette voie!Maya Frommelt en entretien avec Urs Brändli, président Bio Suisse
Images: Bio Suisse