«Comment pourrons-nous l’expliquer à la prochaine génération?»

27. novembre 2020

Bruno Martin s’engage, et pas seulement dans ses vignes, pour une gestion respectueuse de la nature et de ses cycles. Mais son feu sacré brûle pour bien plus encore. Dans sa commune de Gléresse, il a accompli un travail de pionnier en créant un réseau de chaleur à distance. Depuis un an, le vigneron bio défend ses principes également en tant que représentant des Verts au Grand Conseil à Berne.


Qu’est-ce qui conduit un vigneron bio à la politique?

Une confrontation à la loi m’y a mené. Je m’y suis heurté lorsque je suis passé au bio il y a trente ans. À l’époque, exploiter de manière durable et promouvoir la biodiversité signifiait pour moi devoir enfreindre la loi.

Comment ça?

Je ne pouvais pas planter d’arbres dans mes vignes qui devaient uniquement être des vignes. Le registre des variétés écartait des cépages qui entraient en compte pour une exploitation durable. Pour exercer une influence en tant que pionnier et entraîner des changements, je devais m’impliquer au niveau politique. Un procès que j’ai mené avec Bio Suisse contre des dérives il y a plusieurs années a également été une expérience décisive. Elles avaient conduit à des résidus de chlorothalonil dans des raisins bio. Nous avons clairement perdu le procès. Le thème a été traité comme «politique». Que nous n’ayons pas pu faire valoir ce qui était établi m’a durement touché.

Le déclencheur pour entrer en politique est venu plus tard...

Pendant des années, je me suis cantonné à certains sujets. Lorsque j’ai entendu parler de l’initiative sur l’eau potable et, dans ce cadre, des résidus de chlorothanil, mes cheveux se sont dressés sur ma tête. J’ai soutenu la candidature des Verts avec Kilian Baumann dans le Seeland et obtenu un nombre de voix important et inattendu. Avec le virage écologique lancé par les élections au Conseil national, le canton de Berne est lui aussi devenu plus vert. C’est ainsi que j’ai intégré le Grand Conseil.

Dans quelle mesure les Verts peuvent-ils porter leur message au parlement cantonal?

Chaque parti a sa propre ligne. L’appartenance à un parti ne signifie pas nécessairement que nous sommes du même avis sur tout. Et, dans un grand parti, il n’est pas plus facile de faire plus que dans un petit. La diversité est importante dans la nature, mais également en politique. Mes thèmes clés sont bien entendu liés à la nature. La protection d’une eau propre me paraît évidente. C’est pourquoi je m’engage pour l’initiative sur l’eau potable. Il s’agit de valeurs fondamentales menacées. Et il s’agit de notre santé qu’il faut protéger.

On vous connaît comme fervent partisan des deux initiatives – également de celles pour une Suisse sans pesticides.

L’initiative pour une Suisse sans pesticides est globale et repose sur un principe solide. Elle touche de nombreux sujets tels que la protection de l’environnement en général, les antibiotiques, la qualité de l’air – c’est-à-dire les gaz, les dérives... bref, la santé.
De nombreux agriculteurs bio que je connais disent que ce ne sera pas facile avec l’initiative sur l’eau potable. Oui, elle fait mal, mais nous considérer son objectif. C’est l’essentiel.

En tant que vigneron bio, vous n’avez pas d’animaux, c’est donc plus simple pour vous.

Lorsque je pense à la biodiversité dans mes vignes, je vois des millions d’animaux (dit-il en riant). Et leur santé est également en jeu. Il ne s’agit pas d’animaux classiques tels que des vaches, des porcs ou des poules. Mais c’est vrai, je suis moins touché, car la vigne est une culture économe, comme la forêt. Les vignes ont à peine besoin de nutriments, on peut les exploiter pendant des siècles sans avoir à acheter d’engrais. Mais lorsque nous parlons de santé, nous devons également parler d’alimentation, de l’air, des polluants dans l’eau potable. Et nous ne devons pas avoir peur de le dire: nous avons un tiers d’animaux en trop dans notre pays. Il est clair que ce constat fait mal aux éleveurs.

L’eau potable du Mittelland est chargée de pesticides, les agriculteurs et les viticulteurs en portent également la responsabilité. Que faites-vous contre?

Nous disposons de plans de réduction nationaux, mais ils n’atteignent pas leur but. Tant qu’il existe des produits phytosanitaires à acheter et qu’ils sont légaux, ils seront utilisés. Au sujet de l’eau ici dans le Seeland: il ne s’agit pas seulement des agriculteurs qui ont trop traité pendant des années. Ce sont également les jardineries, les communes, les CFF... et tout ce qui vient de l’air et de la pluie. Le thème est beaucoup plus varié qu’on ne le pense. Les résidus peuvent venir du Stockhorn, des pieds de l’exploitant qui peut peut-être encore boire à sa source, mais qui utilise trop d’engrais, qui a trop d’animaux, qui utilise des herbicides. Et de son voisin qui surfertilise son jardin et pulvérise des pesticides. Tout ceci se retrouve chez nous au Seeland dans l’eau potable. Tant de choses sont liées. C’est pourquoi nous devons penser de manière globale. Et poser des limites. Je suis passé au bio il y a trente ans pour des raisons bien différentes. Je souhaitais offrir à mes enfants et à mes petits-enfants une alimentation saine. C’est pourquoi je ne vois personnellement aucune alternative à un avenir bio pour la Suisse.

Ce qui répond au thème de la dérive avec les produits phytopharmaceutiques épandus par hélicoptère...

De mon point de vue, il est inefficace et peu durable de pulvériser depuis un hélicoptère. Dans l’agriculture biologique non plus. Avec les produits phytosanitaires acceptables sur le plan biologique tels que le cuivre, il faut principalement couvrir la partie inférieure des feuilles pour obtenir le meilleur effet. En fait, c’est la même chose que pour la protection solaire: au lieu d’une crème, une application par voie aérienne agit comme une cure intraveineuse qui parvient dans la circulation sanguine. Le produit protège pendant un certain temps, mais les effets secondaires et l’impact environnemental n’ont rien de durable. Bien entendu, d’un point de vue économique, il peut valoir la peine de pulvériser à la fois dix hectares avec un hélicoptère. Mais il existe des alternatives en viticulture. Il y a trente ans, j’ai changé et replanté des cépages résistants. J’en ai également planté d’autres qui ne portèrent pas, j’ai fait des essais. C’est ça l’esprit pionnier. Nous devons continuer à accomplir un travail de pionnier, faire des progrès avec la recherche. Nous devons absolument pratiquer une culture sans pesticides ni cuivre. Il en va de même avec l’eau potable. Nous devons absolument agir et avancer. Et ça fait mal au début.

Comment pouvez-vous défendre votre cause en politique?

En politique, je suis sûrement quelqu’un qui dérange. Il s’agit pour moi de défendre des principes et des valeurs fondamentales pour tous: une eau potable, un air propre et une alimentation saine. Dans de nombreux domaines, il en va de même qu’avec la biodiversité dans mon exploitation. J’exploite ici des vignes avec 18 cépages – en politique, nous devons compter au Parlement avec 160 talents venus de domaines totalement différents – du maire à l’infirmière, du syndicaliste à l’agriculteur bio. Nous, les élus, assumons la responsabilité de nos valeurs. Et elles concernent tout le monde. En tant que vigneron bio, je dois décider si j’arrache des vignes et je plante un arbre à la place pour plus de biodiversité et j’accepte donc un rendement inférieur. La raison est un objectif clair, celui de faire fonctionner mon exploitation de manière durable, écologique et saine. Ce n’est pas différent en politique.

Si le peuple dit oui aux deux initiatives. Comment envisagez-vous l’avenir?

Ce sera une véritable chance pour nous tous et pour les générations futures. Par le passé, la petite Suisse a prouvé à plusieurs reprises qu’elle est en mesure d’envoyer des signaux forts avec courage et vision. Je pense là par exemple à Bio Suisse, à nos directives Bourgeon suisse qui vont plus loin et qui sont plus exigeantes que les directives bio européennes. Nous sommes un pays de sources et avons donc un rôle de modèle. Il existe des modèles durables et des possibilités pour nous agriculteurs et agricultrices d’y contribuer. Dans l’agriculture biologique aussi, nous devons revenir aux cycles naturels, à la durabilité et moins décider selon des critères économiques.

Un avertissement à la scène du bio?

Je ne parle ni comme agriculteur bio, ni comme homme politique, mais comme personne de bon sens: nous avons 30 ans de retard en ce qui concerne les pesticides déjà pulvérisés et leurs métabolites. Quand devons-nous l’interdire – aujourd’hui ou demain? S’il y avait eu davantage de personnes courageuses il y a 30 ans, nous n’aurions pas aujourd’hui ce problème avec la qualité de l’eau potable. Bien sûr, on peut en retirer les substances toxiques. Mais qui doit payer? Ce n’est pas si grave, on peut encore la boire... autant d’arguments que nous entendons souvent. Mais où nous mènent nos gains en matière d’économie et de bien-être si nous n’avons pas la santé? Comment pourrons-nous l’expliquer à la prochaine génération?

Quels sont les autres thèmes qui vous tiennent à cœur en tant qu’homme politique?

Ils sont nombreux. J’ai élevé seul quatre enfants. Je pense à la santé et à l’alimentation, mais également aux jeunes, ceux qui sortent de l’école ou de leurs études. Quelles sont leurs perspectives? Je pense à nos aînés, aux soins palliatifs, par exemple. Souhaitons-nous gérer nos maisons de retraite comme des parkings? Vieillir à tout prix? Je pense à tous les malades – et non seulement en raison de la pandémie pour laquelle des millions sont débloqués. Pendant 18 ans, j’ai accompagné mon enfant malade. Il n’avait aucune chance. La pénurie de personnel dans les hôpitaux existait déjà il y a douze ans. Dans des services, on a supprimé la moitié du personnel. Les coûts n’ont pas baissé pour autant. Le personnel n’avait plus de temps à consacrer aux patients, les patients devaient repartir aussi rapidement que possible car le nombre de lits était insuffisant... Et où en sommes-nous aujourd’hui? Tout a des limites. C’est pourquoi nous devons prendre aujourd’hui des décisions courageuses qui nous permettent de nous regarder dans le miroir et d’espérer en l’avenir.
Entretien et photos: Sabine Lubow
Il s’agit de la quatrième et dernière partie de notre série sur la biodiversité avec Bruno Martin, pionnier du vin bio à Gléresse (BE). Cette année, nous avons rendu plusieurs visites à cet infatigable défenseur de l’agriculture biologique pour l’accompagner dans ses vignes au bord du lac de Bienne à chaque saison et comprendre son fort engagement. Avez-vous manqué les premiers articles? Vous en découvrez plus ici sur les auxiliaires dans les vignes et nous vous emmenons assister aux vendanges chez Bruno Martin.
Partager